Quand quelque chose disparaît…

 

Deux titres de Keren Ann et un autre de Lhasa qui m’ont toujours beaucoup bouleversé, aussi bien dans l’intention que dans la forme. Mais si je les pose ici, c’est que ces trois chansons me servent de préambule musical à la longue lecture de Lettre d’une inconnue de Stephan Sweig qui va donner lieu à une lecture approfondie.

Lettre d'une inconnue, de Max Ophuls

C’est à toi seul que je veux m’adresser ; c’est à toi que, pour la première fois, je dirai tout ; tu connaîtras toute ma vie, qui a toujours été à toi et dont tu n’as jamais rien su. Mais tu ne connaîtras mon secret que lorsque je serai morte, quand tu n’auras plus à me répondre, quand ce qui maintenant fait passer dans mes membres à la fois tant de glace et tant de feu m’aura définitivement emportée. Si je dois survivre, je déchirerai cette lettre, et je continuerai à me taire. Mais si elle arrive entre tes mains, tu sauras que c’est une morte qui te raconte sa vie, sa vie qui a été à toi de sa première à sa dernière heure. N’aies pas peur de mes paroles : une morte ne réclame plus rien ; elle ne réclame ni amour, ni compassion, ni consolation. La seule chose que je te demande, c’est que tu croies tout ce que va te révéler ma douleur qui se réfugie vers toi. Crois tout ce que je te dis, c’est la seule prière que je t’adresse ; on ne ment pas à l’heure de la mort de son unique enfant.

Stephan Sweig, Lettre d’une inconnue


 

A propos de la photo

  • Lettre d’une inconnue, film réalisé par Max Ophuls dont on lira une critique ici.
Ecrire en marge

Etre une femme, Libre

Ne vous attendez pas à ce que j’écrive avec de belles formules. Je ne sais pas comment on fait, mais j’écris quand même.
Je suis une femme. Libre.

J’aurais pu être une fleur, une pierre, une feuille, une libellule, ou que sais-je encore ?… A la place j’ai eu un corps, pas n’importe lequel : un corps de femme. Constitué de tous ces membres, plutôt en bonne santé, agréable à la vue et au toucher. Et alors quoi ? Je devrais en avoir honte, le cacher ? Le laisser vierge, le réserver à Un élu qui saurait en prendre soin ? Ou le laisser en pâture aux chiens enragés ? Foutaise ! Nous ne sommes toujours pas sortis de cet héritage judéo-chrétien -quoi que nous en disions. Nous nous  positionnons  pour ou contre, dans tous les cas, on compose avec… Et bien, ça peut être différent.
Abolissons les notions d’échelles ! Il n’est pas question de « mieux », « moins bien », « autant », c’est tout simplement toujours des actes, relations, échanges, ressentis uniques et différents. Et si nous les vivions vraiment dans toute leur plénitude de l’instant, nous toucherions l’essence des flux qui nous traversent.

~

Etre une femme, libre

Je me mets dans un cylindre constitué d’anneaux qui se resserrent, se referment jusqu’à la suffocation. A mon dernier souffle, un cri surgit, celui de la Liberté, et je me mets à créer de nouveau. J’installe le manque, la solitude, l’absurdité d’une vie en cette société afin de me pousser vers une explosion de force vitale.
Contenir le feu jusqu’à ce qu’il brûle de trop pour le retenir, et laisser ses flammes danser. Est-ce de le retenir qui le fait grandir à en bondir ? Ne ressentons-nous pas le besoin de liberté au plus profond de nos entrailles lorsque nous sommes enfermés ?

Isadora Duncan

Je suis une femme qui aime, qui désire.

Qui patiente, s’impatiente. Qui s’offre toute entière sans condition. Qui aime marcher nu-pieds dans l’herbe humide, observer le parcours des insectes, deviner toutes sortes de paysages dans les nuages. Qui aime s’endormir tard dans la nuit quand elle a oublié de manger, manger une compote dans son lit, repousser toujours un peu plus son réveil quand le matin crie de se lever. Qui aime se laisser surprendre par la vie elle-même, se laisser emporter par sa propre fougue du moment. Qui n’aime pas manger à heures fixes, préfère le faire quand elle a faim, tout simplement. Qui aime grignoter n’importe quand, juste parce que c’est bon et vite fait.
Une femme qui désire qu’on la caresse comme si c’était la première fois. Qui désire qu’on l’aime pour tout ce qu’elle est, sans compromis. Qui aime se retrouver nue juste avant la douche, et le coucher aussi.

Je suis une femme qui dégueule sa féminité. Qui hurle qu’elle ne sait pas et qui s’en fout. Qui aime ce sang mort qui sort de ce corps parce qu’il lui dit qu’elle existe.

Qui ne veut pas aller travailler juste parce ce qu’« il faut ». Qui veut douter. Qui veut être libre. Libre face à son propre cheminement de penser. Pouvoir dire à son mental qu’elle ne l’écoute pas, qu’il peut bien vomir toutes ses conneries, elle s’en va. Qui veut pouvoir s’enfuir si ça lui chante.

Je suis une femme incontrôlable.

Qui ne veut pas sortir des conventions juste parce que « ça fait bien ». Qui veut bien croire tout ce qu’on lui dit, pourvu qu’elle oublie le lendemain. Qui veut se sentir belle pour elle-même et pas pour les autres. Qui veut chanter et danser aux enterrements.
Une paresseuse pour défier le temps, pour goûter le temps. Qui n’accepte pas le « cliqueclic » de l’horloge sauf quand il la berce et lui montre que chaque seconde est unique. Qui veut se serrer dans ses propres bras si elle en a envie. Qui veut être seule, embrasser à bras le corps la solitude. Qui veut aussi partager ce qu’elle est à travers moult rencontres. Tant qu’elle peut rester libre sans qu’on la regarde de travers. Tant que les rencontres se vivent dans l’échange le plus absolu. Tant que les gens s’écoutent.

Je suis une femme qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aime, qui aim….. qui aime le jeune, le vieux, le rabougri, le propre, le moisi, qui aime parce que c’est dur, simple, et doux d’aimer. Qui aime le tricheur, le malfaiteur, l’enfant, le détraqué, le paumé, l’illuminé, l’insensé, le sage, le respectueux, le malheureux. Qui aime voir la fleur s’ouvrir, s’épanouir, se faner, sécher, puer. Qui aime laisser pourrir la fleur dans le vase sur la table. Qui aime garder des choses inutiles pour les trier, les ranger, les jeter plus tard.

Je suis une femme qui aime être triste, parfois. Qui aime boire du thé au lieu de fumer. Qui aime être assise là, pour rien. Qui aime rire comme une enfant parce qu’elle vient juste de péter. Qui aime la larme facile devant les mélodrames ridicules de certains films. Qui aime acheter un livre en se disant qu’elle le lira, parce qu’il a croisé ses coïncidences du moment. Qui aime se balader dans une ville connue sans savoir où aller, découvrir des ruelles, marcher la tête en l’air. Qui aime écouter de la musique qui la rende nostalgique, joyeuse, énergique, amoureuse. Qui aime qu’on la regarde avec des yeux pétillants, des yeux d’amoureux. Qui aime s’habiller avec des vêtements d’été, même en hiver.

Je suis une femme qui n’aime pas les soutiens-gorge. Qui aime les culottes en coton. Qui aime autant le pastel que les couleurs vives. Qui aime les superpositions. Qui aime porter de grosses chaussettes en laine sous la couette parce qu’elle a les pieds froids. Qui n’aime pas le maquillage sauf pour se déguiser. Qui aime bien le carnaval, le clown et les contes. (…)

Je suis une femme qui aime se rendormir pour continuer de rêver. Qui aime rêver même quand le rêve s’épuise, même quand le rêve se répète.

Je suis une femme, juste une femme.

~

Pour conclure, une artiste inclassable, une femme, que j’affectionne particulièrement.
Qui peut dérouter, je vous le concède.

………

Parce que la conclusion se repousse toujours un peu plus loin, que le point final n’est jamais tout à fait donner là où on s’y attend…

 

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La liberté?
Réflexion d’une femme

La liberté ?????

Archives mai 68

Il est si facile de parler de liberté pour une femme occidentale, indépendante, libre de penser, de se déplacer, de s’exprimer, libre de corps. La liberté n’est pas le « faire tout et n’importe quoi »selon le désir du moment un point c’est tout. La liberté n’est pas un caprice ! La liberté n’est pas qu’une jouissance joyeuse, elle peut être douloureuse parce qu’elle demande à être conquise à chaque minute et qu’elle est exigeante la liberté !

 

Il ne s’agit pas ici de politique, encore moins d’une quelconque revendication. Une image pour ce qu’elle donne à penser.

 

La vie sociétale nous impose ses propres règles qui parfois nous cousent la bouche et atrophie nos membres. La vie elle-même nous tend sans cesse des pièges de contraintes. La liberté de conscience est là, quelque soit nos origines, nos croyances, notre histoire personnelle. Nous ne choisissons pas nos parents, notre lieu de naissance, notre sexe [certaines croyances liées à la résurrection disent que si, quoiqu’il en soi on oublie tout en « renaissant » -je ne développerais pas ici] mais nous avons le libre-arbitre. Nous faisons toujours des choix, certes liés aux contraintes, facteurs divers et variés et blablabla… mais ils sont là, toujours à renouveler.

Etre une femme ne facilite pas la tâche. Car  même si « la femme est l’avenir de l’homme », paraît-il, l’homme met du temps à s’en rendre compte. L’histoire de la femme -de la soumission de la femme-  nous montre comment Etre libre pour une femme est un combat de tous les jours. Ce n’est jamais acquis, même pour une femme occidentale. Parce que la liberté peut être l’illusion de la liberté. Quand on croit être libre par idéaux.

Est-on libre de penser lorsque l’on reste attaché à une histoire culturelle, religieuse, morale ? lorsqu’on a de cesse de se positionner « pour » ou «  contre » ? lorsque l’on vit selon un modèle (même si il est choisi, assumé), selon une image de celui ou de celle que j’aimerais être ? lorsque l’introspection nous mène de définition en définition sur ce que je suis supposé être ?

Est-il possible de vivre libre sans l’arrogance de celui qui sait, juste parce qu’il est un Homme ? de celui qui se sent supérieur à toutes autres espèces parce qu’il croit que ses perceptions sont La vérité – parce qu’il se sent doué de conscience ?

Je vous laisse avec cet autre point d’interrogation.
Faut-il avoir l’impression de souffrance pour se sentir libre ?

 

………

La liberté, l’envol

Et… Et, parce qu’il y a toujours des « et » et des « haies » dans les libertés…

Une petite note de plus, légère comme une plume…

Et maintenant que je peux mettre des vidéos, je ne vais pas m’en priver…Surtout lorsqu’il s’agit de Tony Gatlif et de son cri permanent d’humanité. Je me suis contentée de celle-ci, un choix difficile à faire parmi toutes les vidéos que je garde sous le coude. Alors il réapparaîtra sûrement.

Post-scriptum: certains ajouts s’incrustent parfois dans ces petites traces de vie, au gré du vent…

Ecrire en marge
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Le bonheur, c’est tout petit — trois vues sur le bonheur

Le bonheur,
c’est tout petit

Le bonheur, c’est tout petit,
Si petit que parfois on ne le voit pas,
Alors on cherche, on cherche partout.
Il est là, dans l’arbre qui chante dans le vent,

L’oiseau le crie dans le ciel,
La rivière le murmure,
Le ruisseau le chuchote,
Le soleil, la goutte de pluie le disent.

Tu peux le voir là, dans le regard de l’enfant,
Le pain que l’on rompt et que l’on partage,
La main que l’on tend.
Le bonheur, c’est tout petit,
Si petit que parfois on ne le voit pas,

Et on le cherche dans le béton, l’acier,
La fortune,
Mais le bonheur n’y est pas,
Ni dans l’aisance ni dans le confort.

On veut se le construire mais il est là,
À côté de nous, et on passe sans le voir,
Car le bonheur est tout petit.

Il ne se cache pas,
C’est là son secret.

Il est là, près de nous
Et parfois en nous. ((Le texte qui suit, avec ce qu’il comporte de naïveté (en ce sens qu’il dit une chose simple et tellement évidente qu’on l’oublie, la prenant pour acquise) et finalement de sagesse a été lu par mon meilleur ami Mathias à l’occasion du mariage de son frère.))

Auteur anonyme

Titillatio-laetitia-gaudium :
Plaisir-joie-bonheur/épanouissement/satisfaction

On trouve dans le texte latin de l’Éthique (part. III, prop. 11, sc. 1, et prop. 18, sc. 2) la gradation descendante suivante : gaudium, laetitia et titillatio. Ce dernier vocable, que Spinoza assimile à l’hilaritas (avec le sens d’allégresse), correspond chez Descartes au « chatouillement des sens », dont il dit qu’il « est suivi de si près par la joie […] que la plupart des hommes ne les distinguent point » (Passions de l’âme, § 94). Or, les Allemands, pour lesquels, selon le Wörterbuch de Ritter, die Lust désigne non le simple sentiment de plaisir, mais plutôt celui de joie, traduisent aussi par ce mot de Lust la laetitia spinoziste, tandis qu’ils rendent le mot, plus fort, de gaudium par Freude.

L'Escarpolette - Fragonard

De leur côté, les Français traduisent généralement laetitia par le mot cartésien de «  joie » et titillatio par « plaisir » et, plus précisément, « plaisir local » ou « chatouillement ». Mais il leur est alors plus difficile de rendre gaudium : C. Appuhn opte pour « épanouissement » et R. Misrahi pour « contentement », de même que R. Caillois et B. Pautrat, tandis que P. Macherey, qui y voit une « passion joyeuse », préfère « satisfaction ». Le problème pour les traducteurs allemands, qui ont pu rendre de façon satisfaisante laetitia/gaudium par Lust/Freude est donc de traduire le terme inférieur de la gradation, titillatio, tandis qu’en français, si l’on estime avoir traduit correctement titillatio par « plaisir » et laetitia par « joie », on semble manquer de ressources pour gaudium ((C’est moi qui souligne)).

Charles Baladier, Robert 2003, infra 5

Laetitia

CIRCONSCRIRE Pour réduire son malheur, le sujet met son espoir dans une méthode de contrôle qui lui permettrait de circonscrire les plaisirs que lui donne la relation amoureuse : d’une part, garder ces plaisirs, en profiter pleinement, et, d’autre part, mettre dans une parenthèse d’impensé les larges zones dépressives qui séparent ces plaisirs : « oublier » l’être aimé en dehors des plaisirs qu’il donne.

1. Cicéron, puis Leibniz, opposent gaudium et laetitia. Gaudium, c’est le « plaisir que l’âme ressent lorsqu’elle considère la possession d’un bien présent ou futur comme assurée; et nous sommes en possession d’un tel bien lorsqu’il est de telle sorte en notre pouvoir que nous en pouvons jouir quand nous voulons ». Laetitia est un plaisir allègre, « un état où le plaisir prédomine en nous » (au milieu d’autres sensations, parfois contradictoires).
Gaudium est ce dont je rêve: jouir d’une possession viagère. Mais ne pouvant accéder à Gaudium, dont je suis séparé par mille traverses, je songe à me rabattre sur Laetitia : si je pouvais obtenir de moi-même de m’en tenir aux plaisirs allègres que l’autre me donne, sans les contaminer, les mortifier par l’angoisse qui leur sert de joint ? Si je pouvais avoir, de la relation amoureuse, une vue anthologique ? Si je comprenais, dans un premier temps, qu’un grand souci n’exclut pas des moments de pur plaisir (tel l’Aumônier de Mère Courage expliquant que « la guerre n’exclut pas la paix ») et si je parvenais, dans un second temps, à oublier systématiquement les zones d’alarme qui séparent ces moments de plaisir ? Si je pouvais être étourdi, inconséquent ?

2. Ce projet est fou, car l’Imaginaire est précisément défini par sa coalescence (sa colle), ou encore : son pouvoir de déteinte : rien, de l’image, ne peut être oublié; une mémoire exténuante empêche de sortir à volonté de l’amour, bref d’y habiter sagement, raisonnablement. Je peux bien imaginer des procédés pour obtenir la circonscription de mes plaisirs (convertir la rareté de fréquentation en luxe de la relation, à la manière épicurienne; ou encore, considérer l’autre comme perdu, et dès lors goûter, à chaque fois qu’il revient, le soulagement d’une résurrection), c’est peine perdue : la poisse amoureuse est indissoluble (l’amour n’est ni dialectique ni réformiste).

(Version triste de la circonscription des plaisirs : ma vie est une ruine : des choses restent en place, d’autres sont dissoutes, effondrées : c’est le délabrement.)

Roland Barthes, « Fragments d’un discours amoureux« , p.61, Éditions du Seuil

 


 Voici quelques réflexions inspirées de la lecture de ces trois textes tournant autour des trois concepts énoncés : titillatio, laetitia et gaudum.

Titillatio

Titillatio : c’est le babil du plaisir en quelque sorte, c’est s’offrir du plaisir pour se sentir bien, se faire « chatouiller les sens » : ici on peut classer un grand nombre d’activités humaines, depuis le plaisir de la table, aux activités sportives ou de détente en passant par les plaisirs d’exultation du corps… Le titillatio peut évidemment, à mon avis, se prolonger en laetitia, quand le plaisir des sens sublime quelque chose en nous et nous révèle quelque chose de nous ou de l’univers. Par exemple j’écoute un morceau de musique, celui-ci me procure du plaisir auditif car la mélodie est séduisante, le tempo entre en résonance avec mon corps, cela influe sur plusieurs parties de mon cerveau et développe un bien être corporel et émotionnel (titillatio). Mais en fait le phénomène s’avère être plus complexe, car en fait ce morceau je l’ai écouté à telle occasion heureuse (phénomène analogique) et mon corps écoutant ce morceau se remémore une joie passée (laetitia) ou encore les paroles de la chanson correspondent et/ou répondent à une problématique qui m’est actuelle, j’y perçois un sens profond qui nourrit mes interrogations (phénomène sémantique). Etc.

Laetitia

Laetitia : ici on aborde le domaine de la joie, c’est le plaisir allègre, « un état où le plaisir prédomine en nous ». Cet état peut être provoqué par le titillatio, c’est-à-dire par une somme de plaisirs des sens qui en quelque sorte se transcendent eux-mêmes. La joie c’est quand le plaisir prend sens, s’articule autour d’un réseau de significations, quand il dépasse le stade du babil justement et que ce n’est plus le plaisir pour le plaisir. J’apprends une bonne nouvelle qui vient contredire une inquiétude que j’avais (et qui provoquait un stress, une contrariété de mes sens), la joie me submerge et me libère. Si laetitia procède souvent comme extérieur à nous cela peut être aussi une quête volontaire : il s’agit alors d’aller à la rencontre justement ce que peut nous signifier le monde, de ce qui touche nos sens et non d’attendre que cela arrive, par miracle ou par hasard. En occident, notre éducation judéo-chrétienne nous incline à percevoir la joie (et au-delà le bonheur, le gaudum) comme quelque chose provenant de quelque-chose de supérieur : laetitia désigne alors l’allégresse (Auditui meo dabis gaudium et laetitiam, donne moi à entendre des chants de joie et de plénitude, lit-on dans le Misere d’Allegri, Ps. 51), la liesse, la foi et la joie religieuse transcendée par la communion avec Dieu (la prière). En orient, la joie est plus immanente, elle provient davantage de l’harmonie que le sujet adopte au monde. La joie se fait plus intérieure, elle se recherche par d’autres biais, par la méditation, par la recherche d’une énergie intérieure (le Qi). Cette joie pour ma part je la perçois dans les Haïkus ou les estampes dans lesquels l’homme est rarement le centre vitale mais un élément parmi d’autres et qui forment un tout. Cette quête compte parmi un des cheminements créatifs de l’artiste.

Gaudium

Gaudium, dont Baladier nous révèle que les traducteurs français ont toujours peiné à traduire, je le traduis pour ma part par bonheur mais il faut alors entendre ce mot dans son sens le plus absolu, comme un épanouissement ultime, une plénitude, une paix intérieure suprême, le nirv?na bouddhiste pour reprendre un élément de la culture orientale. Évidemment ce gaudium reste un idéal à atteindre, un état permanent inatteignable, c’est ce à quoi je rêve sans même savoir le contenu de mon rêve, une « possession viagère » nous dit autrement Barthes. Souvent quand on répond à la question : qu’est-ce qui vous rendrait heureux, on répond sur le plan tittilatio / laetitia mais rarement sur celui du gaudium. Parce que, dans le fond, on ne sait pas trop ce qui nous rendrait vraiment heureux. Une partie de l’éducation donne des objectifs de « bonheur » :  trouver compagne ou compagnon, fonder une famille (perpétuation de l’espèce), avoir un emploi (avoir une fonction, une utilité), accumuler des biens (matérialisme), aider et aimer les autres (fonction philanthropique), etc. Mais cela ne répond qu’à des desseins sociaux (d’une utilité sociale), voire moraux. Mais une fois adulte, on se rend bien compte que tous ces objectifs étaient somme toute assez chimériques et que le bonheur n’est pas atteint avec ceux-ci.

L’individu se pose-t-il vraiment la question de ce qui le mettrait dans cet état de gaudium ? Barthes nous dit que, ne pouvant accéder à gaudium (dans son discours sur l’amour, il faut entendre alors la plénitude amoureuse, le bonheur amoureux), l’individu se retranche dans les « plaisirs allègres que l’autre me donne ». Parce qu’en dehors sans doute d’un travail énorme sur soi, ne sachant pas la manière et le sens de ce qui me rendrait heureux, je cumule les joies et les plaisirs pour tâcher de me donner le simulacre de ce bonheur que je recherche tant sans savoir ce que c’est.

Poser la question de la vanité de la quête du bonheur c’est sans doute accepter de collectionner les titillatio et les laetitia sans espoir d’un état permanent, c’est renoncer au gaudium. Et si… et si.. gaudium c’était tout petit, peut-être alors que nous raterions l’essentiel pour ne pas avoir ouvert les yeux assez grands, peut-être que par crainte de devoir escalader une montagne, nous n’aurions jamais fait le premier pas vers la vallée paisible du bonheur ?

Le cas de l’amour

La jouissance du corps (titillatio) varie énormément en fonction de la tension émotionnelle, sentimentale, cognitive qui unit l’amant à l’aimé : du simple plaisir coïtal (biologique en somme, quelque chose répond à un stimulus) à l’exultation fusionnelle (amoureux, quelque-chose ici à trouver quelque-chose là, c’est une rencontre, une réunion de quelque-chose qui semblait séparé : voir le discours d’Aristophane dans le Banquet de Platon magnifiquement raconté dans la vidéo ci-dessous). Don Juan collectionne les conquêtes, il en retire un certain nombre de plaisirs des sens (et sans doute une satisfaction toute mâle à montrer aux prétendants l’efficacité de ses hormones), mais n’est-ce pas l’absence de laetitia, de joie qui le conduit à répéter la même chose sans parvenir à trouver ce quelque-chose qui l’apaise, qui le satisfasse vraiment au point de perdre tout besoin de collection ? Le Gaudium en amour, si l’on suit l’histoire d’Aristophane voudrait que l’on fusionne, comme dans un état antérieur, avec l’être aimé…


Ecrire en marge
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Être une femme, Désir

Je n’ai pas eu le temps d’y penser que je suis déjà de retour…
Une page se ferme, une autre s’ouvre.
« Être une femme » recèle tellement de volutes changeantes et insoupçonnées que je fais confiance à celle que je suis et viens de nouveau, sans style, sans fard, sans trompette. Une tête qui pense un peu et un corps qui sens beaucoup.
J’aurais pu abordé le désir au pluriel, de toute sorte, je me suis arrêté sur le désir charnel car il s’agit d’un corps, d’une femme et d’instants partagés. Quand il n’y a plus de désir (en général) on commence à se laisser mourir. Le désir chez la femme -en tout cas, pour celle-ci- fait déplacer des volcans, des océans qui ne peuvent que s’incliner face à la volonté et à la détermination de ce petit bout de chair en mouvement.

~

En flânant au milieu de vieux papiers qui sentent le renfermé, où l’encre et le crayon s’effacent peu à peu, je me suis amusée à relire ceci, une rêverie d’une très jeune adolescente, que j’ai souhaité inscrire en introduction.

L’abeille du désir se pose sur la fleur du plaisir, butine son soleil au milieu des pétales charnelles. Lorsque le crépuscule s’épuise, elle attend impatiemment l’ombre de l’aube. La rosée rafraîchissante la régénère jusqu’au bout des ailes. Il lui est impossible d’être lassée puisque la nature des antennes est inexorablement attirée par le cœur constamment brûlant de cette fleur immaculée.

Parce qu’«on n’est pas sérieux quand on a 17 ans» et en deçà. Que l’adolescence fait pousser des ailes, cousues ensuite. Peut-être est-ce une période de la vie dans laquelle la lucidité est beaucoup plus présente que les apparences qu’on y prête.

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Des notes qui auraient dû restées dans mon jardin secret, écrites par et pour moi-même. La surprise de les voir renaître, de les étaler face à l’inconnu. De les laisser se disperser dans une mer infinie, trouble, aux profondeurs inquiétantes, aux milles merveilles déroutantes.
Parce que ni la honte, ni l’appréhension n’arrêtent cette entreprise, celle d’offrir des petits bouquets de ce jardin, qui n’est plus si secret que cela…

Gustav Klimt, Derpents d'eau 

Relations secrètes et enviées.
« Je t’aime, moi non plus » ou « Je ne t’aime plus mon amour »

Nous pouvons être amis, amoureux, amants, compagnons de route… Ou nous pouvons Etre tout simplement. Sans définition. Au gré du moment.
……………………
Je repousse toutes les vagues le concernant, elles me submergent, je les rejette vers la terre. Respirant en mon centre, laissant passage pour éviter blocage. Mais ça subsiste. Les vagues roulent et roulent encore, amenant à chaque nouvelle écume un doute de plus. Plus les minutes passent, plus son odeur se rapproche de moi… je peux presque sentir l’odeur de nos baisers.    Alors j’écris pour exulter.
……………………
Entrée dans son univers. Tout objet a un caractère énigmatique. Les espaces sont pleins par le poids du vide. La salle de danse abrite aussi un antre musical.
Je le rencontre au travers du corps, du contact, les yeux fermés. Les corps s’appréhendent, se connaissent déjà, s’entremêlent, se rassurent, s’accompagnent, puis prennent leur indépendance et s’éloignent. Les yeux s’ouvrent, les espaces sont différents, j’approche une autre facette de cette personne. Les heures défilent, nous défient. Le mouvement se délie, le corps parle.
Un contact précieux, délicat. Sommes-nous simplement dans le geste dansé ou dans la tendresse séductrice et sucrée ?
La langue parlée est différente mais nous parlons le même langage. Une alchimie des pores de la peau. Un massage, un message. Mon corps reçoit toute la volupté de ces va-et-vient…frissons. Je lui réponds avec la même intensité.
Nous finissons par des codes plus sociaux, à échanger sur des bribes de vies. Je tarde à nous laisser, je ne reste pas. Je pars dans la nuit tiède et calme.
……………………
La force intérieure vive et sensuelle emplie tout l’espace. Le silence ne rompt pas nos respirations rapprochées. On se sent, se respire, se frôle. La sensualité se concentre entre nos deux corps en flamme. Les flammes vacillent, la peau s’embrase, jusqu’à pousser les portes de l’interdit. Nos bouches se rencontrent, nos langues se libèrent. Les caresses sur les vêtements, le peu de contact avec la peau. Et les mots se répètent dans ma tête.
« Qu’est-ce que nous sommes entrain de faire ? Je savais que ça pouvait arriver. Je dois arrêter. Il doit éteindre le feu. Nous ne pouvons pas, ne devons pas aller plus loin… »
Nous n’irons pas. Cette limite n’est pas franchie. Il s’endort paisiblement sur le parquet.
Mon corps en garde des traces. Vagues de désirs qui ondulent de la tête aux pieds.
……………………
La fenêtre, l’air souffle entre nous, en nous. Les rayons pénètrent nos chairs. Ils font une ronde et dansent dans mon ventre. Nous devinons, nous savons. Nous nous avouons. La sincérité continue de marteler nos mots. Pour être sûrs. Pour confirmer nos sens.
Il fait les premiers pas charnels. Il ne m’est plus possible de contenir les vents de désir qui tourbillonnent en moi. Je ralentis leur flux, poussée par une sorte de gravité et aussi l’envie d’un moment infini. Être consciente de ce qui est entrain de se dérouler à l’instant même.
Il a fait le premier pas, je prends le relais.
Une gravité qui chuchote  « nous n’avons pas le droit », « nous ne devrions pas », « restes à ta place ».
……………………
Nuit d’ivresse. Il a juste fallu que nous nous retrouvions seuls. L’alcool en prétexte. Enlacements, tourbillons, bouillonnement dans une alchimie suspendue. Sens entremêlés, désirs insoutenables. Libres et lucides.

ajout le 23/08/10

 

« The siddhas of the upper air », Abanindranath Tagore.

Désirer c’est Aimer
Hommage à l’être aimé.

J’arrive ici comme j’aurais pu être ailleurs. Il tape, tambourine tant qu’il peut. Mon corps s’anime, vibre parmi ses rythmes. Ce corps encore tiède de cet hôte qui peuple mon quotidien depuis peu. Celui que j’oublie, emmenée vers d’autres probabilités…Danse effrénée. Un tournoiement imaîtrisé, complet d’une élévation sans nom. Je ne sais pas si c’est moi qui accompagne son percutant doigté avec ma danse, ou l’inverse. La fusion d’un espace-temps entre deux êtres, où justement le temps et l’espace n’existe plus.

Un souffle entre nos paupières qui se croisent.

Nous nous retrouvons assis l’un en face de l’autre sans trop savoir comment nous sommes arrivés là. Il me sert un verre, deux, puis trois… je ne les compte plus. Je fais de même. Il ne refuse pas. Nous avalons toute cette fumée verte qui vertigote derrière nos yeux pétillants. Je lui déballe ma vie. Comme ça, pour rien. Je me retourne un instant, reviens et hop ! l’attraction s’est proclamée maîtresse. Aimantés au-delà de toutes considérations. Scotchés pour ainsi dire. Médusés, englués, absorbés, une succion électrique. On ne sait pas qui avale qui. Dévoration inconditionnelle. Le monde peut bien s’écrouler autour, ça n’a pas la moindre importance. Aucune question, la tête se noie intégralement dans les courants d’effluves du désir, une jouissance harmonisée.

Nous atterrissons dans ce petit salon sans trop savoir comment. Entourés de couples aussi improbables et insolites que nous le sommes. La maison est pleine de ces rencontres délectables, délicieuses. Une atmosphère de libertinage un peu sage. Les couples nus s’isolent. Et nous, nous restons là, allongés par terre, au centre de ce petit salon, lovés l’un dans l’autre, dans cet instant infini.

Le jour se lève, nous le voyons à peine. La lumière déchire peu à peu cette réunion de deux corps non essoufflés.
Séparés par une autre réalité. Avec les questions qui commencent tout juste à pointer le bout de leur nez crasseux…
Puis, nous nous revoyons. Encore et encore… C’était il y a plusieurs années déjà. Il est toujours là. Dans mon lit, dans ma vie, mes nuits.

Ecrire en marge
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Être une femme

Le labyrinthe a parfois ses entrées qui se confondent avec ses sorties, à tel point que l’on ne sait plus si on est dedans ou dehors.

Je me présente ici en toute simplicité comme au détour d’un virage ou d’un carrefour. Un mirage, une image d’une femme.

Je lis peu, voire très très peu, mon héritage culturel ne m’a pas offert l’amour des Belles Lettres, je n’ai pour ainsi dire pas le profil d’une « intellectuelle ». Pourtant j’attire à moi certains qui veulent discourir de poésie, de philosophie… Je n’ai aucune référence à leur apporter, aucun nom, aucun titre, aucune citation, juste une sensibilité. Celle d’une femme, qui malgré ses lacunes lexicalistyque se pose aussi des questions. Qui parfois écrit pour se comprendre, s’écrit face à un miroir qui lui révèle des couleurs différentes à chaque reflet.

Je m’autorise ici à transcrire sur des murs, à transpirer quelques notes intimes, pas à la recherche d’une critique, peut-être d’un écho…deviné ou silencieux. Parce qu’ « Être une femme » dans un corps de femme s’impose à moi dans tous mes faits et gestes.

Etre un être vivant, un être humain, Être une femme ! Rôle considérable et décisif dans l’humanité et la perpétuation de la vie. La femme contrôle la natalité, non l’homme. Donner vie, à deux. Porter la vie, le secret de la création , seule. La magie de l’univers qui se développe dans son propre corps. Instant, instinct privilégié. Être une femme, c’est naître avec l’exigence de la beauté ondulaire. C’est donner de l’amour avant d’en recevoir. Etre porteuse de vie. Une destinée sacrée pas toujours évidente à assumer.

 

Peinture sur sable des Indiens Navajo

Labyrinthe des mondes qui s’interpénètrent. Vivre dans un corps de chair et de femme.

La rail qui ressemble à un serpent, qui semble traverser le temps avec moi, à mes côtés. Il me suit ou je le suis. Je n’en ai pas peur. Il pénètre le temps et l’espace, me conduit, se conduit. Dirige sans diriger. Compagnon de route, guide du moment qui passe. Ami du temps. Trace sa route et la mienne. File, se faufile. Existe au-delà, en deçà. Glisse, sombre et luisant. Creuse dans la terre son sillage. Laisse ses traces, pose ses marques. Discret, sans bruit, s’approche et s’éloigne. Jamais très loin. Il surveille, tapis, il guette. Toujours attentif, l’œil vif et tranquille. Le serpent vit en moi, traverse ma colonne, s’enroule et s’étire, embrasse l’air entre mes muscles, mes seins, mes os, mes veines, mon sexe, mes nerfs, et court à travers le tumulte de mon cerveau-cervelet. Il me donne le vertige. L’équilibre aussi, sortant de la terre, me visite, se niche en mon centre et continue le trajet vers le sommet de mon crâne.

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Mon corps vit, respire, souffle, susurre, transpire, s’agite, s’exaspère, tempère, se suspend, se tend, s’étire, flotte, se meut, s’apprivoise, s’écoute, bat ses microparticules… Mon corps désire, se retient, redésire, part et revient, s’arrête et reprend.     Le mental freine.

Mon corps respire de désirs.

Il n’est pas sage, pas prudent, pas conventionnel… de suivre ses instincts.

Mon corps hormonal a besoin d’exulter. Pas avec n’importe qui, n’importe quand. Je suis une éternelle romantique, avec une sensibilité débordante. L’alchimie est le mot d’ordre. L’alchimie de la rencontre, du lieu, du moment. L’Alchimie du temps présent.

Inca-nue

Ecrire en marge
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